Lecture à la BU -> dialogue intérieur...

Publié le par EDG-E

- “Comment la matière devient conscience”… Je ne suis pas sûre que ce titre soit en accord avec la thèse que les auteurs de cet ouvrage défendent… C’est le terme “devenir” qui me dérange. Car si la conscience émerge de la matière, la matière elle ne devient rien, elle reste matière.

 
- Oui, mais il me semble que le terme “devenir” ne désigne pas là un changement d’état mais plutôt un changement de propriété : la matière “sans conscience” devient une matière “avec conscience”. Au contraire, je trouve que le titre est bien choisi tant il est ancré dans le monisme que défendent les auteurs.
 
- Tu parles de changement de propriétés… Mais comment une propriété telle qu’ “être doué de conscience” peut-elle apparaitre à partir de certaines matières?
Qu’un bout de plastique, par exemple, passe de l’état “transparent” à l’état “opaque”, je peux le concevoir aisément car il existe une succession de transformations physiques qui sous-tendent ce changement de propriété et toutes les étapes du passage de transparent à opaque peuvent être décrites et sont causalement reliées entre elles. Mais qu’en est-il pour le passage de “sans conscience” à “avec conscience”?
 
-Tu compares là des choses non comparables. La conscience est une notion subjective. La transparence est quand à elle un cractère physique objectif et peut donc naturellement être décrite par des moyens objectifs comme les sciences physiques.
 
- Je suis fondamentalement d’accord avec ça! La conscience est une notion strictement subjective. La preuve en est qu’on ne dispose pas de moyen scientifique pour déterminer si oui ou non un être vivant (qu’il soit humain ou pas) est doté d’une conscience. De nombreux scientifiques se battent à propos des singes : certains leur attribuent une conscience alors que d’autres non. La vérité? personne ne sait, car la vérité est un concept qui fait appel à l’objectivité. Comment l’appliquer à cette notion subjective qu’est la conscience?
 
- Ta définition de la conscience est biaisée! Certes, il existe une face subjective de la conscience qui se caractérise par notre vécu personnel, ce qu’on ressent. Mais ce n’est pas pour ça qu’elle n’est que subjectivité et il ne faut pas négliger la face objective de ce concept de conscience! C’est cette face que les scientifiques étudient et tentent d’expliquer!
 
-Et comment s’y prennent-ils? En étudiant les zones qui s’allument quand on demande à un cobaye de penser à une pomme…? Puis en déduisant que cette zone qui s’allume n’est autre que le versant objectif, le substrat matériel de “la conscience d’une pomme”?
Mais si tu présupposes que la conscience a un versant objectif et que la conscience c’est l’activation de zones du cerveau, alors en réalisant l’expérience de la pomme tu ne démontres en rien cette hypothèse, tu ne fais que la visualiser (au moyen de technologies couteuses qui plus est…)
Et quand bien même, en supposant que ce soit vrai, que la conscience soit cette configuration particulière de la matière sous forme de neurones qui communiquent, comment les scientifiques expliquent-ils l’émergence d’une subjectivité?
 
-Il faut accepter l’idée selon laquelle ce que tu appelles “subjectivité” n’est en fait que l’effet de la disposition particulière de la matière à laquelle se mêle la dynamique des influx nerveux caractérisés par leur répartition spaciale et temporelle…
C’est comme le passage de la mécanique quantique à la mécanique classique : le lien entre les deux n’est pas clairement identifiable et on ne peut pas suivre le passage de l’une à l’autre des deux physiques comme on le ferait pour le passage de l’état transparent à l’état opaque. On change de niveau. Pour la conscience c’est pareil : on change de niveau, on change de système.
 
- Je serai bien incapable de te dire si comme tu le dis, le passage de la mécanique quantique à la physique classique n’est pas descriptible en termes scientifiques. Par contre, je sais qu’il est dangereux pour l’esprit de faire des analogies entre des faits qui sont souvent loin d’être comparables. Qu’elle soit quantique ou classique, on parle bien là de physique : une discipline scientifique, donc descriptible au moyen d’un système formel objectif (désolée pour le pléonasme…). Ce qui n’est pas du tout le cas de la conscience!
“J’ai faim.” Quelle équation pourrait rendre compte de cette sensation? Certainement que dans peu de temps on sera capable de décrire exactement les réseaux neuronaux mis à contribution de manière concomitante à cette sensation. Mais même les mots manquent lorsqu’il s’agit de la décrire. Quand je dis “j’ai faim” tout le monde comprend ce que je ressens car on vit tous sur le consensus selon lequel nous avons des sensations semblables. Mais si un extra-terrestre n’ayant jamais eu besoin de manger donc n’ayant jamais éprouvé la faim me demandait : “peux tu me décrire précisément cette sensation?”, j’en serais bien incapable… Comment dès lors imaginer qu’on puisse un jour le faire en termes scientifiques? Pourtant ce vécu, cette expérience personnelle existe bel et bien! C’est tout le problème des qualia…. Certains le resolvent en disant qu’ils n’existent pas, qu’il ne sont que le versant subjectif de l’activité neuronale…. Ce n’est que repousser le problème : comment expliquer l’émergence de la subjectivité?
 
- La subjectivité émerge de la conscience. Elles sont troutes deux le résultat de la complexité et de la richesse des communications du réseau neuronal.
 
- Dialogue de sourds! Je te demande comment émerge la subjectivité, et tu me réponds “c’est simple : elle émerge”…
 
- Non, je ne te réponds pas “elle émerge”, je te réponds “elle est”. Plus précisément, elle est cette complexité du réseau vue non plus à l’échelle moléculaire ou cellulaire, mais à l’echelle individuelle, humaine.
 
- “Vue” à l’echelle humaine? Je ne comprends pas bien… Ca voudrait dire que : 
                                -> Si je regarde au microscope ton cerveau : je vois la complexité
                                -> Si je regarde simplement avec mes yeux : je vois la conscience?
C’est tellement absurde que je ne peux te préter de tels propos, mais j’aimerais que tu éclaircisses cette pensée?
 
- Le mot “vue” était mal choisi en effet. Reprenons :
(1) : A l’échelle atomique : notre cerveau, comme nos muscles par exemple, est un amas d’atomes reliés entre eux (et aux autres atomes qui les environnent) par des forces électriques.
(2) : A l’echelle cellulaire : notre cerveau est un amas de cellules (et pas que des neurones) massivement interconnectés, communiquant entre elles par influx électriques et messagers chimiques. Un muscle lui est un amas de fibres insérées sur les os au moyen de fibres plus solides : les tendons.
(3) : A l’echelle humaine : le cerveau est l’organe de la conscience - entre autres- le muscle est l’organe du mouvement.
 
- Oui, mais la différence est là : un mouvement peut être mis en équation et scrupuleusement étudié par la physique : il appartient au domaine du réel objectif (c’est à dire : étudiable scientifiquement). La conscience , elle, ne l’est pas. Dans un cas on reste dans une dimension purement matérielle, dans l’autre on bascule dans une dimension subjective. Ma question est : quel est le point d’intersection? comment passe-t-on de l’un à l’autre? Quel est le lien entre les deux?
 
- Si on en croit “Comment la matière devient conscience”, il semble que certaines conditions matérielles dussent être réunies pour qu’une conscience émerge :
(1) Nombre de neurones et de connexions suffisants
(2) Circuits et réseaux mis en jeu de complexité suffisamment élevée, et permettant des phénomènes que les auteurs noment : phénomènes de réentrée.
 
- Donc, si je te suis, la conscience ce n’est pas tels ou tels neurones, mais c’est des neurones activés. Certains neurones engagés dans le processus conscients peuvent ne plus l’être si leur activité cesse. De même, n’importe quel neurone peut être engagé dans le processus conscient si tant est que son activité est adéquate, c’est à dire qu’elle contribue à la formation d’un état du cerveau compatible avec l’emergence de la subjectivité. Il existerait donc une ou des valeurs seuil (concernant le degré d’activité des cirucuits) en deça desquelles il n’y a pas de conscience possible….
 
- Oui, c’est ça. C’est la globalité des mouvements électrique et chimiques, c’est toute la dynamique nerveuse qui correspond à la conscience. Ce n’est pas tant la matière finalement, mais plus son activité, son mouvement…
 
- Mais pour permettre l’émergence de différents états conscients, il faut un espèce de fourchette, un interval dans lequel tous les états électrochimiques du cerveau correspondent à un état conscient particulier, et en dehors duquel ce n’est pas le cas. Comment commence et comment s’arrête cet interval? Quelle taille a-t-il? Est-il continu?
De plus, comment expliquer la consistance temporelle de la conscience si elle n’est qu’un tas de charges électriques en mouvements?
 
- Je pense en effet que quand on aura répondu à ces questions, on ne sera pas loin d’avoir la solution à ce grand mystère qu’est la conscience. Je fonde de grands espoirs sur la physique quantique, et je pense qu’il serait bon de lire Mr Penrose pour approfondir le débat.
 
- Oui, la physique quantique est une voie à ne pas négliger, c’est certain. Je vais m’intéresser à cette discipline de plus près, puis nous reprendrons ce débat.
 
-Avec plaisir!

Publié dans Me and Myself

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