Le congrès de l’encéphale 2009 : la crème de la psychiatrie réunie à Paris

Publié le par EDG-E

Et quand je dis "la crème", je nomme bien cette partie du gâteau la plus superficielle et la plus insipide. Celle qu’on voit, qui fait joli, qui impressionne. Mais aussi celle qu’on ne retrouve pas dans la profondeur, celle qui ne s’attache pas au fond.
Pourquoi tant de véhémence me direz vous... ?

 

D’ordinaire les cognitivistes et autres neurobiologistes ne me dérangent pas. J’ai juste l’impression que leur métier et le mien sont très différents, qu’on ne fait pas la même chose, qu’on n’a pas les mêmes objectifs. Je les vois comme les garagistes, les historiens, les boulangers, les physiciens, les maçons, les géologues... autant de professions qui n’ont rien à voir avec la mienne.
Et pourtant c’est eux essentiellement qui, parrainés par les laboratoires pharmaceutiques, nous ont parlé de psychiatrie, à nous psychiatres.

Certes, tous étaient (aussi) des psychiatres. C’est justement là que le bât blesse.
Reflechisson ensemble.
Durant ces 3 jours que duraient le congrès, outre les stands de labo pharmaceutiques encerclés par les buffets sans cesse regarnis de petits fours et autres amuse-bouches, qu’y avait-il d’intéressant ?
Des symposium.
De quoi parlaient-ils ?
De psychiatrie. Du moins dans les intitulés. D’abord de dépression et de rythmes circadiens. De gènes impliqués dans la régulations de nos cycles hormonaux, eux même responsables en partie de nos humeurs. Voilà pour les raisons endogènes, celles qui sous-tendent les "personnalités pré-morbides". Puis pour l’environnement, il y a le soleil, bien sûr, mais aussi les saisons. Mais comme le soleil et les saisons sont les mêmes pour tout le monde, si vous êtes déprimés et pas les autres, finalement, cela revient à dire que c’est vous qui déconnez : votre cerveau est mal fait et vos hormones sont mal distribuées. Bon, évidemment, tout ça reste biologique, donc ce n’est pas vraiment de votre faute, c’est le hasard de la génétique. Mais du coup, vous en tant qu’être agissant, vous n’y pouvez rien : laissez donc faire les médicaments. D’ailleurs ce symposium s’est conclu sur la publicité... euh, pardon, la présentation d’une nouvelle molécule, française (excusez du peu), pionnière dans son domaine puisque c’est la seule à avoir une activité mélatoninergique...

Puis ce fut au tour de la psychose. Les anti-psychotiques. (A quand les anti-névrosés ?)
Les atypiques (non encore génériqués pour la plupart) fonctionnent mieux. Si si, regardez sur l’IRM, l’atrophie est moindre ! Et le délire est presque érrrrrradiqué (! !!) . L’observance est meilleure en plus ( : le patient achète bien ses médicaments). Biensûr, il n’y a pas QUE les médicaments... Non. La psychoéducation(autre nom pour "manipulation des comportements") nous aide bien aussi.

Et que dire des hallucinations ? Fait surprenant : on retrouve une modification du volume cortical des aires auditives chez les patients sujets aux hallucinations auditives. Cela voudrait donc dire que le cerveau et l’esprit seraient reliés ? Les réseaux de neurones seraient ils le siège biologique de nos sensations psychologiques ? Il n’y aurait donc pas, comme Descartes le pensait, l’âme d’un côté et le corps de l’autre ? Quelle découverte récente, n’est-ce pas ? Reste à savoir pourquoi ces modifications structurales ne sont pas accompagnées d’hallucinations perpetuelles, c’est à dire à comprendre pourquoi le patient n’entend pas en permanence des voix alors qu’il a en permanence un cortex auditif plus gros. Qu’est-ce qui déclenche ses voix ? Cela aurait-il un lien avec son histoire personnelle ? Un complexe de castration qui s’est mal passé ? Une forclusion... ? Non non, surement pas, trop singulier tout ça... A quoi bon même l’évoquer... Il doit probablement plutôt s’agir de phénomènes lunaires ou astrologiques qui, combinés à la température extérieure, au degré d’humidité et peut-être à l’intensité lumineuse au temps t+5 vont déclencher l’apparition des hallucinations. En effet, si on écoute attentivement ces chercheurs qui nous présentent leur power-point colorés, on comprend vi que le cerveau est un autre de ces systèmes physiques qui peuplent notre univers. Il est soumis aux lois de la thermodynamique. Et cela nous suffira un jours pour comprendre... Pour comprendre quoi d’ailleurs ? Pour comprendre comment ce tas de neurone évolue dans le temps ?

C’est en ça que les professions de neurobiolgistes et de cognitivistes sont très différentes.
Quel est le but du psychiatre ? Il me semble qu’une des réponses les plus consensuelle est la suivante :
"Prendre en compte un autre être humain dans sa souffrance morale et essayer de la soulager".

Je pense que la différence qui nous sépare est le degré d’importance attachée à chacune des deux parties de cette phrase. "Prendre en compte un autre être humain" me semble être capital, essentiel et peut-être garant de la réussite de la seconde partie, à savoir "soulager la souffrance".

C’est lorsque l’on considère l’autre dans son humanité, qu’on lui laisse tout l’espace pour déployer son être, qu’on mèle notre subjectivité à la sienne pour construire ensemble un espace d’échange où lui comme moi pouvons nous exprimer dans notre complexité singulière et donc exister comme humains plutôt que comme symptôme que précisément le symptôme disparait ou diminue d’intensité, se perdant dans l’immensité de l’Etre.

Or pendant ces trois jours, l’Autre n’était pas convié. Ou du moins, avant le congrès, il a été tué, disséqué, et trop lourd, les intervenant n’ont ramené de lui que les quelques parties de son cadavre auxquelles ils semblent attacher de l’importance.
De l’Autre "je" on est passé au "il" puis, du "il" à une aire corticale, un neuromédiateur parfois. Au delà de l’extrême simplification logique que représente ce raisonnement (et qui pose bien des questions quand à sa validité et à sa consistance) il s’agit là d’une entreprise de déshumanisation agressive de l’Humain. On shunte sa conscience (sans parler de l’inconscient), sa subjectivité, sa psychologie pour directement cibler l’étage biologique et attaquer ce que nous avons décider d’appeler les "malfaçons" de son cerveau. L’objectif de "soulager la souffrance morale" a été transformé en un objectif de standardisation massive de l’architecture et du fonctionnement cérébral sous tendu par la croyance qu’il existe une forme de cerveau joyeux, non souffrant...

Alors que tous nous nous insurgeons contre l’eugénisme, n’est-on pas là en train d’assister à l’avènement d’un tout nouveau courrant : l’euneuronisme ?

Publié dans Me

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