Culture
- En fait, on pourrait voir ça comme une nouvelle étape dans l’évolution…
- De quoi…?
- La mondialisation
-… Sauf qu’il n’y a aucune modification biologique sous-jacente!
- Mais c’est justement ça la nouvelle étape!
- Tu veux dire que la culture serait en quelque sorte un nouveau “critère de sélection” des individus, bien que non héréditaire?
- Oui, c’est tout à fait ça. Voilà comment je vois les choses : avant, il n’y avait que le génome comme support de transmission. Avec Homo sapiens sapiens eut lieu une (r)évolution majeure : l’apparition du langage. Mieux, de la parole. Et avec elle, de la culture, prémisse indispensable à l’émergence du progrès et de la technologie. Désormais les gènes ne suffisent plus et l’éducation (qui n’est autre que la diffusion d’une culture aux générations suivantes) est aussi un critère d’adaptation de l’individu à son milieu. Car le milieu dans lequel évolue l’Homme est à la fois naturel et culturel!
-Mais quel rapport avec la mondialisation?
- Et bien c’est simple : en faisant de la culture un nouveau critère de sélection, on la dote d’une robustesse plus ou moins grande selon qu’elle se répand plus ou moins facilement sur la planète. Ainsi la culture occidentale semble être la plus robuste de toutes…
- Ce que tu dis me paraît soit très dangereux, soit revêtir peu d’intérêt…. Je m’explique. Ou plutôt, je vais tenter de te faire préciser ta démonstration. Si tu inclus la culture comme nouveau critère de sélection dans l’évolution, tu es d’accord qu’on change d’échelle?
- C’est à dire…?
- Et bien si les gènes responsables du phénotype “avoir un épiderme corné” sont des gènes qui ont favorisé la survie d’espèces qui les possédaient hors de l’eau, ils se sont répandus précisemment parcequ’ils contribuaient à offrir aux idividus des conditions qui leur permettent de se reproduire. On a à la fois une échelle temporelle très stricte : d’une génération à l’autre, et également un espace physique restreint : d’un individu à sa progéniture. La diffusion du caractère est limité de facto par la matérialité du génome, et ainsi la “mondialisation” d’une espèce est limitée par son temps de reproduction.
-Oui, on est d’accord.
- Tant mieux. En ce qui concerne la culture, c’est beaucoup plus complexe! Déjà parceque “la culture” recouvre des pratiques, des croyances, des aspects très variés d’une civilisation… Par exemple, qu’appelles-tu “culture occidentale”?
- Et bien je nome “culture occidentale” justement ces pratiques qui se mondialisent : le capitalisme, le monothéisme, la monogamie, le ‘tout-scientifique’, la notion de “progrès” telle qu’on la conçoit…
- C’est très vaste en effet! Tu dis “le monthéisme”, mais l’Islam et le Christianisme ont donné lieu à des cultures très différentes!
- Nous avons tous 2 bras, 2 jambes et une tête, mais notre couleur de peau est différente!
-…???
- Je veux dire par là qu’il y a des critères pertinents de sélection et d’autres moins au sein d’une même espèce. Le fait d’être debout sur deux jambes est un caractère de l’espèce humaine. Pas celui d’avoir les cheveux roux. Parallèlement, on peut envisager que le fait d’ête monothéiste est beaucoup plus pertinent (d’un point de vue avantage sélectif) que celui de la religion exacte.
-Certes. Acceptons ce point. Mais que veux tu dire par “avantage sélectif”? Car, si on comprend aisément qu’un gène “non avantageux” entraîne un décés prématuré de l’individu empêchant par là sa diffusion, on comprend moins bien comment cette sélection opère concernant la culture…!
- Oui car l’échelle de temps est différente, en effet… Attends, je réfléchis…
-… Alors…?
- Hmm… Bien en fait, voici mon cheminement de pensée : pour qu’une culture se répande, il faut que l’éducation touche les individus issus d’une autre culture. Comment cela a-t-il été possible sur notre planète? Il y a l’histoire de la colonisation d’abord. Pourquoi les occidentaux ont-ils colonisés d’autres continents? Surement que leur “avance” technologique de l’époque les a aidés. Mais il y a aussi indéniablement là derrière une intention de conquête, ou du moins d’exploration, résultant de “l’ambiance culturelle du moment”… Mais je ne peux t’en dire plus, mes connaissances en histoire sont bien trop faibles!
- Bien. Donc en fait nous n’avons pas vraiment de réponse à la question ” Pourquoi la culture occidentale s’est elle diffusée si facilement à la surface du globe?” . Peut-être est-ce en effet parcequ’elle représente un avantage sélectif (mais dans ce cas il faudrait montrer en quoi ne pas épouser cette culture est l’étal). Ou peut-être parcequ’un concours de circonstances a permis sa diffusion dont le début doit dater en effet des premières vages de colonisation. Dans ce dernier cas alors il ne s’agit pas d’un avantage de sélection, mais plutôt d’une diffusions “par la force” d’un mode de vie.
- Mais quand bien même serait-ce par la force, si les peuples conquis n’ont pas résisté c’est que la culture importée était plus robuste!
- Non! C’est que les hommes étaient plus féroces!
-Car ils étaient plus robustes!
-Ils avaient l’avantage de la volonté : ils débarquaient volontairement chez un peuple surpris. Et la technologie était peut-être aussi plus “avancée” (= meurtrière…)
- Oui, mais s’ils avaient ces avantages, n’est-ce pas grâce à leur culture?
- Réduire la culture à la capacité à oppresser un peuple, c’est bien ça que je qualifiais de dangereux tout à l’heure!
- La sélection naturelle est dangereuse.
- C’est pour ça que je parle de culture…
-Mais la culture est naturelle puisqu’elle émerge du vivant!
- Elle émerge mais s’en détache par sa capacité à s’abstraire de l’immédiateté.
- …???
- Contrairement à ce que tu sembles dire, je suis convaincue qu’il existe une ligne de rupture entre nature et culture. Avec la conscience (qui est entre autre cette faculté que nous avons à nous extraire du présent pour nous projetter dans l’avenir et juger du passé) est apparue la culture. Elle est un médium entre nos pulsions intérieures et le monde extérieur, médium qui désamorce notre force primaire et la sublime, la transforme en édifice. Je crois qu’elle est la condition du pacifisme. Or la culture que tu me décris toi, celle que tu inclus dans la nature, n’est autre qu’une force primaire amplifiée par des outils. Certes celle-ci peut constituer un “avantage sélectif” mais au même titre que les dents acérées d’un requin…
-Peut-être oui… Mais je te trouve bien optimiste quand au genre humain!
- Je ne suis pas angéliste. Oui, je crois en la culture. Mais je crois aussi que le capitalisme est tel qu’on le dit : sauvage. Il n’a rien de culturel. Il est la transposition des luttes animales dans un monde monnétisé. Et en ce sens, oui, tu as raison, le modèle de la sélection naturelle s’y applique parfaitement.
- Je ne comprends plus rien… Tu dis que la culture est la chose la plus pacifique qui soit. Or quelque chose de pacifique ne tue pas et devrait donc se répandre comme une tâche d’huile…
- Sauf quand elle est en face de cette force belliqueuse qui décime ou convertit ce qui ne lui obéit pas. La paix règne tant qu’il n’y a pas la guerre….!
- Mais pourquoi, si je te suis, les hommes préfèrent-ils la guerre?
- Car ils n’ont jamais connu la paix. La lutte n’a jamais cessé, et l’être humain est toujours sur ses gardes. Son esprit est constamment envahi, préoccupé par la lutte, si bien qu’il ne peut se concentrer sur ce à quoi il aspire vraiment : la paix.
- Et toi?
- Moi? Je suis comme toi, comme tout le monde, j’essaye de “faire mon trou”…
- Et la culture?
- Elle est présente. De plus en plus. Mais malheureusement pas assez pour apaiser toutes les tensions.
-Et les indigènes?
-Quoi les indigènes…?
-S’ils nous attaquent?
-… Ils ne nous attaquent pas! Pourquoi cette crainte soudaine? La peur est précisément ce qui mène aux armes. Pourquoi la découverte de différences émerveillent les scientifiques qui étudient d’autres espèces ou les éthnologues qui étudient d’autres cultures, et nous effraient dès lors qu’elle sortent du cadre formel de la science? C’est ça la puissance de la culture je crois. C’est cette capacité qui nous est offerte de transformer la peur en émerveillement par le jeu de la distance et de la connaissance…
- Hmmm…. J’y réfléchirai… Mais là, je dois aller prendre ma douche…
-Vas donc, petite occidentale stressée