Fin du deuxième cycle
Ca veut dire en gros que quoi que je fasse, au “pire”, je finis médecin généraliste.
Evidemment, mes parents sont crès crès fiers de leur grande fille…
Je sais pas pourquoi, mais moi je peux pas m’empêcher de ressentir un peu de dégout… Il y a quelque chose d’un peu abjecte là dedans. On m’a donné les clefs, le plan de la prison et on m’a bien montré 5 fois comment ouvrir les serrures… Quel mérite puis-je bien avoir à m’en sortir?
Mais c’est même pas ça le plus sordide dans l’histoire. Je sens grandir en moi ce sentiment d’appartenir à l’élite, d’être en haut, dans la belle société, avec les beaux gens… Bac + 10 wow ! Ca c’est du pédigré! Tu me trouves égocentrique, pingre, pas sympathique, incapable de compassion, fermée d’esprit, raciste, inhumaine…? Rien à faire, J’AI MON DIPLOME, la preuve formelle que JE SUIS UNE FILLE BIEN puisque la société des Hommes me place à son sommet.
Fuck it.
En fait ça me fait gerber.
Est-ce qu’au moins je m’épanouis dans ma profession à dire à tous les gens que je vois :
“ah ben non Monsieur, vous n’êtes PAS NORMAL, vous êtes pathologique, et IL FAUT QUE je vous change.” ?
Ba oui, parceque mon diplôme il me permet de décider ceux qu’il faut changer et ceux qu’on peut accepter comme ça dans notre communauté sans trop de modifications… J’ai désormais le pouvoir de dire ce qui est normal. (6 ans d’études quand même!)
Mais moi, à l’origine, je voulais juste être psy. Et dans ma tête psy c’est être A L’ECOUTE des gens, leur offrir un espace où ils puissent exprimer, extérioriser ce qu’ils n’osent même pas laisser accéder à leur conscience : ce qu’ils sont, ce qu’ils sentent, la logique intérieure qui les anime, leurs pulsions, leurs désirs, leurs souvenirs, leur folie… Sans jugement. Sans vouloir les changer. Juste leur donner l’occasion d’éprouver leur être. De le comprendre. Et pourquoi pas, à long terme, de l’accepter. Même s’il ne colle pas au standard.
Mais faudrait peut-être que je commence par moi… Après tout, n’ai-je pas fait médecine pour coller au standard de l’être humain “qui réussit”? Ai-je laissé parler cette petite voix intérieure qui est Moi, ou lui ai-je bien gentillement prié de se taire parceque je voulais mieux pouvoir entendre les ordres émanant du brouhaha ambiant…?
Médecin n’est pas une profession épanouissante. Etre convaincu qu’une norme existe et (pire), qu’il FAUT à tout prix ramener un maximum de brebis égarées dans cette norme, c’est lutter en permanence contre la singularité de l’être, c’est éttoufer la créativité, l’originalité, la spontanéité. C’est tuer l’âme pour sauver l’apparence.
Dur métier.
Bon voilà…
Je vais donc continuer cette “formation à la standardisation massive” tout en croisant les doigts pour garder un minimum d’ouverture d’esprit. J’espère ne jamais devenir assez aigrie pour pouvoir dire ce que la PH de mon service clamait ce matin. (Avec la sage-femme cadre et une infirmière, elles ont bien passé 30 minutes à déblatérer sur le dos d’une maman toxicomane… ” ces gens là ils font jamais ce qu’on leur dit” “ils ont une personnalité particulière et ne devient pas toxicomane qui veut…” “ça c’est le genre de patient typique chiant que personne ne veut soigner” “soit ils nous lachent pas la grappe ou alors on les voit jamais” “celle là tu peux être sûre qu’on arrivera jamais à la sevrer”… Pourquoi tant de temps? Pourquoi tant d’énergie passée à montrer à quel point “ces gens là sont horribles”? Auraient-elles peur? Peur de ne pas pouvoir les ramener dans la norme? Peur que des gens anormaux résident sur le même territoire que “nous”? Peur qu’ils continuent à vivre tout en étant marginal ( ce qui voudrait donc dire qu'il n’y aurait pas une et une seule manière possible de vivre(=la notre)? Mais! alors...nous ne détiendrions donc peut-être pas la Vérité…! °-°) )