Quand serons Nous?

Publié le par EDG-E

Dans la rue, à un passage pour piéton, au rouge :

MOI : Bonjour Madame, comment allez vous?

La dame me toise, me tend un rapide sourir crispect baissant aussitôt les yeux puis s'empresse de traverser, soulagée de voir que le bonhomme vert s'illumine enfin.

Dans un hall bruyant :

MOI (en blouse blanche avec un sthétoscope sur les épaules) : Bonjour Madame, comment allez vous?

MADAME : Ah bonjour docteur! Si vous saviez...! Ma fille me pose quelques soucis en ce moment, figurez vous que.... puis mon voisin aussi fait des siennes, l'autre soir.... c'est là que je me suis vraiment rendue compte que mes jambes me faisaient souffrir, car quand je me couche et que mon mari....

Pourquoi ne fait-on plus confiance à l'être humain?

Je suis fatiguée de cette chappe de plomb que représentent les institutions.
Les réglements, le système, les protocoles, la hierarchie... Tout ça me pèse de plus en plus.
On est tous là, juxtaposés, à sentir nos présences mutuelles, sans trop savoir quoi faire de cette sensation, incapables de rentrer en relation les uns avec les autres sans les artifices de l'institution.
Pourquoi ai-je besoin d'un cadre rigide pour communiquer?


A l'évidence cette femme ne parle pas à une autre femme là, non, elle parle à un mandataire, à un agent dont la mission est -entre autres- de l'écouter.
Nous ne sommes plus capables de nous parler les uns les autres sans en être socialement autorisés (voir obligés). Désormais il nous faut un cadre, une mission, des accessoires parfois... Et tout ceci abolit toute volonté spontanée d'échange. Plus de sentiments. Les affects sont rongés, réprimés comme autant de parasites.
Alors on ne parle plus avec nos mots. On ne parle plus de sujet à sujet mais d'objet à objet. Les objets d'une scène sociale, convenue, protocolaire. Nous incarnons un rôle, une fonction et devenons donc complètement interchangeables. Notre vocabulaire, nos thèmes de discussion sont empruntés à la collectivité, à la vie institutionnelle. On feint de ne plus remplir que nos missions, dans un souci d'efficacité, car on croit que seule l'efficacité importe. Alors on s'imagine que chacun de nos actes de langage n'est qu'une instruction objective parmi d'autres, lachée dans le monde des sons dans l'unique but d'accomplir une mission.
Mais c'est  faux. Nous demeurons des êtres affectifs. Nous passons chaque seconde de notre vie à éprouver. Car c'est ça être vivant. Et on peut protocoliser autant qu'on veut nos conduites, nos sentiments et nos pulsions restent. Ils sont là, dans nous, ils débordent, suintent de notre être en permanence et jaillissent tantôt dans nos postures, tantôt dans notre ton, dans le choix de nos mots, de nos phrases...
Nous n'osons pas les exprimer. Nous n'osons même parfois plus les écouter. Mais ils sont là. On les refoule, mais ils grandissent, forment ces "rejetons" selon la dénomination Freudienne, et infiltrent la moindre faille de ce mûr que l'on cimente sans cesse un peu plus, de cette façade que l'on se force de ravaler tous les jours...
Et puisqu'ils n'ont pas voix au chapitre, puisque la voie des mots leur est interdite, ils empruntent celle des maux. Et ça se ressent. Mais on se tait.

Alors, que d'agressivité en une journée! Que de frictions, de non-dits, de nébuleuses irritantes car inexplicitables, incompréhensibles car inavouables!

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